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Le 13 avril dernier, une chambre mixte de la Cour de cassation a été réunie aux fins d’opérer un revirement en matière de contrat de crédit-bail. C’est plus particulièrement le devenir du contrat liant la banque au crédit-preneur, à la suite de la disparition du contrat de vente qui a été examiné. La Cour de cassation considère ainsi que l’anéantissement du contrat de vente entraîne la caducité du contrat de crédit-bail ayant financé l’opération. Elle vient par la présente décision infléchir la position qu’elle retenait jusqu’alors et aligner, sur ce point, les régimes de la location financière et du crédit-bail.

Le rappel des faits

Le rappel des faits de l’espèce permet de mieux cerner ce contrat sui generis qu’est le crédit-bail.

Une société a conclu le 10 mai 2010 (le droit applicable est donc celui antérieur à la réforme du droit des contrats de 2016), un contrat dans lequel le vendeur s’engageait à fournir un camion équipé d’un plateau et d’une grue. Il était prévu que la charge utile restante du véhicule devait être de huit cent cinquante kilogrammes au minimum. Afin de financer  l’acquisition de ce véhicule, la société a conclu, le 3 juin 2010, avec une banque, un contrat de crédit-bail mobilier. A première vue, le contrat de vente est bien exécuté puisque le camion est livré accompagné de sa carte grise et d’un procès-verbal de contrôle de conformité initial. Pourtant, à la suite d’un contrôle de police, un défaut de conformité apparaît : le poids à vide du véhicule est en réalité supérieur à celui indiqué sur le certificat d’immatriculation et la charge disponible inférieure à celle contractuellement prévue. Par conséquent, le crédit-preneur assigne le vendeur et la banque en nullité de la vente et du crédit-bail.

Devant la Cour de cassation, deux pourvois sont formés. Le premier (n° H 16-21.345), formé par le vendeur et la banque, repose sur la contestation du prononcé de la résolution de la vente pour défaut de conformité par les juges du fond. C’est le second pourvoi (n° M 16-21.947), formé par le banque, qui retiendra ici notre attention en ce qu’il conteste le prononcé de la caducité du contrat de crédit-bail mobilier, caducité consécutive à la résolution du contrat de vente.

Le crédit bail n’est pas une location financière : le rappel d’une distinction fondée sur le transfert de propriété 

A travers la présente espèce, apparaît la distinction classique entre le crédit-bail et la location financière.

Le contrat de crédit-bail mobilier est prévu à l’article L. 313-7 du code monétaire et financier.  Il s’agit d’un contrat de louage d’un matériel professionnel, qui permet au preneur de jouir du bien. En contrepartie de cette jouissance, un loyer est payé. La particularité du crédit-bail est qu’il s’accompagne d’une promesse unilatérale de vente, qui confère au crédit-preneur la possibilité de lever une option d’achat en fin de contrat.

Au contraire, la location financière ne permet pas d’acquérir la propriété du bien, ce qui constitue une distinction majeure entre ces deux contrats.

C’est cette distinction que l’on peut lire en creux dans la décision de la haute juridiction, lorsqu’elle précise que la jurisprudence concernant la location financière n’est pas transposable « au contrat de crédit-bail mobilier, accessoire au contrat de vente ».

Mais la solution retenue en matière de location financière doit être étendue au crédit bail : la caducité du contrat liant le crédit bailleur au banquier ensuite de la résolution de la vente 

Pour autant, si la jurisprudence n’est pas transposable, la Cour de cassation décide, à travers cette décision, de réduire la  distinction entre le crédit-bail et la location financière, situations contractuelles marquées par l’imbrication de différents contrats.

En effet, les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération financière commune peuvent être considérés comme interdépendants. Dès lors, la Cour de cassation a considéré à plusieurs reprises que  l’anéantissement  de l’un quelconque de ces contrats entraine la caducité de l’autre (en ce sens Com., 12 juillet 2017, n° 15-27.703, publié). La caducité vient ici sanctionner une disparition de la cause en cours d’exécution du contrat.

Au contraire, concernant le contrat de crédit-bail, à plusieurs reprises, la Cour se montrait plus sévère à l’encontre du crédit-preneur puisqu’elle considérait que seule la résiliation du contrat pouvait être prononcée en cas d’anéantissement du contrat de vente. (en ce sens Ch. mixte., 23 novembre 1990, n° 86-19.396, n° 88-16.883 et n° 87-17.044, B. 1 et 2 ; Com., 12 octobre 1993, pourvoi n° 91-17.621, B. 327 ; Com., 28 janvier 2003, n° 01-00.330 ; Com., 14 décembre 2010, n° 09-15.992 ).

Comme le rappelle la Haute juridiction dans cette décision – poursuivant ainsi un objectif de motivation et de pédagogie à travers la rédaction de ses décisions – cette résiliation du contrat conduisait alors à l’application « de clauses ayant pour objet de régler les conséquences de cette résiliation ».

Une évolution du crédit-bail dans le sens de la réforme du droit commun des contrats 

L’écart entre le contrat de crédit-bail et la location financière devenait difficilement justifiable, et ce plus particulièrement au regard de la réforme du droit des contrats. Bien que les textes nouveaux ne furent pas applicables en l’espèce, la haute juridiction a très certainement pu se laisser guider par eux afin d’opérer ce revirement.

En effet, depuis l’ordonnance de 2016, ce n’est plus une lecture détournée de la cause qui sert de fondement  au prononcé de la caducité du contrat interdépendant, mais un texte, l’article 1186 du code civil qui dispose :

Un contrat valablement formé devient caduc si l’un de ses éléments essentiels disparaît.

Lorsque l’exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d’une même opération et que l’un d’eux disparaît, sont caducs les contrats dont l’exécution est rendue impossible par cette disparition et ceux pour lesquels l’exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d’une partie.

La caducité n’intervient toutefois que si le contractant contre lequel elle est invoquée connaissait l’existence de l’opération d’ensemble lorsqu’il a donné son consentement.

 

Crédit photo A.Mazouz

Pour sa rentrée, la chambre sociale de la Cour de cassation a apporté des précisions essentielles sur la promesse unilatérale de contrat (Cass. Soc. 21 septembre 2017, n°16-20.103). Elle offre plus particulièrement une relecture de la promesse d’embauche à l’aune de la réforme du droit des contrats.

Mais quels enseignements concrets peut-on tirer de cette décision ? 

 

Le  visa prometteur de la décision

Le visa de la décision rendue par la Cour de cassation offre d’emblée une belle promesse : celle de la rencontre entre le droit commun des contrats et le droit du travail. En effet, cette décision, a été rendue à la lumière d’une lecture combinée de l’ancien article 1134 du code civil et de l’article L 1221-1 du code du travail.

Le premier de ces textes constitue la clef de voûte du droit des contrats à travers la notion de force obligatoire. Le second témoigne de l’influence du droit commun sur le droit du travail et dispose, notamment, que « le contrat de travail est soumis aux règles du droit commun ». 

Ainsi, la relation entre le droit commun et le droit du travail, tantôt de répulsion, tantôt d’attraction, trouve dans la présente décision une illustration fort intéressante (pour une analyse de cette décision sous l’angle de la relation entre le droit commun des contrats et le droit du travail voir Bérénice Bauduin, Julien Dubarry, Fallait-il lire les promesses d’embauche au prisme du nouveau droit commun des contrats ?, Recueil Dalloz, 2017, p. 2289).

 

Les effets de la réforme du droit des contrats sur la jurisprudence

« Attendu que l’évolution du droit des obligations, résultant de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, conduit à apprécier différemment, dans les relations de travail, la portée des offres et promesses de contrat de travail (…) ».

A travers cet attendu de principe, la chambre sociale annonce sa volonté d’opérer un revirement afin de mettre sa jurisprudence en conformité avec les dispositions réformées par l’ordonnance de 2016. La réception par la Haute juridiction de ce texte et son influence sur sa jurisprudence est particulièrement scrutée ces derniers mois. En particulier, lorsque la jurisprudence antérieure à la réforme ne s’inscrit pas dans la ligne des nouvelles dispositions.  Tel est bien le cas pour la jurisprudence en matière de promesse unilatérale, qui se démarquait de l’actuel article 1124 du code civil.

En l’espèce, la Haute juridiction ne méconnaît pas le principe de non-rétroactivité de la loi, comme en témoigne l’application de l’article 1134 dans son ancienne rédaction. Mais elle opère toutefois un revirement sous l’influence de la loi nouvelle.

 

La distinction opérée entre offre d’embauche et promesse d’embauche

La rétractation de l’offre d’embauche ne conduit pas à la formation du contrat.

Dans une formulation relativement pédagogique, la chambre sociale prend soin de souligner que l’acte « par lequel un employeur propose un engagement précisant l’emploi, la rémunération et la date d’entrée en fonction et exprime la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation » constitue une offre de contrat de travail.

Une fois cette précision apportée, la chambre sociale indique que cette offre, au regard des dispositions nouvelles, peut être librement rétractée tant qu’elle n’est pas parvenue à son destinataire. En revanche, la rétractation d’une telle offre avant l’expiration du délai fixé par son auteur ou, à défaut, à l’issue d’un délai raisonnable, fait alors obstacle à la conclusion du contrat de travail. Dans cette hypothèse, seule la responsabilité extra-contractuelle de l’auteur peut être recherchée : le contrat n’est pas formé.

Mais, au contraire, la révocation de la promesse unilatérale n’empêche pas la formation du contrat de travail.

« En effet, la chambre sociale rappelle dans la présente décision que doit être définie comme une promesse unilatérale de contrat de travail « le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l’autre, le bénéficiaire, le droit d’opter pour la conclusion d’un contrat de travail, dont l’emploi, la rémunération et la date d’entrée en fonction sont déterminés et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire ».

Dès lors, influencés par les nouvelles dispositions du code civil, les magistrats de la chambre sociale considèrent que la révocation de la promesse, intervenue durant le temps laissé au bénéficiaire pour lever l’option, ne peut empêcher la formation du contrat de travail. Par conséquent, une fois la promesse consentie, la formation du contrat se trouve uniquement suspendue à la volonté du bénéficiaire.